Siri HUSTEVEDT
Extrait du livre « La Femme qui tremble »

Peut-on voir ce que l’on ne sais pas avoir vu ?

Nous ne sommes pas conscients des mécanismes complexes à l’oeuvre pendant que nous voyons, lisons les mots et regardons les choses autour de nous. Voir les formes, les objets, nous semble un processus instantané et d’un seul tenant. Pourtant, en réalité , c’est une opération complexe d’extraction et de reconstitution permanente de notre perception visuelle
d’une série de surfaces, de contours, de relief, de couleurs, de mouvements, d’ombres et de perspectives, dans un contexte changeant.
Nous ne voyons pas d’emblée les objets, les visages, les mots en tant que tels. Mais à partir de perceptions incertaines, confuses, mouvantes, nous extrayons des invariants élémentaires de traits, d’intersections, de relations géométriques à partir desquelles nous reconstituons la nature de ce qui nous entoure.
Nous sommes conscients des intervalles dans une phrase, nous identifions les lettres puis les mots, le son, les émotions qu’ils évoquent et fond revenir les souvenirs en surface. L’image du mot ou d’une image arbre fait naitre en nous la forme, les mouvements, les couleurs de tous les arbres que nous avons connus ou que nous pouvons imaginer ; on voyage dans d’autres mondes mais également dans le nôtre.
Dès réception de l’image, le cerveau réinvente la forme, les couleurs, le mouvement, le son. Des mondes intérieurs naissent en nous.

Peut-on voir ce que l’on ne sait pas avoir vu ?
Quel est le je en moi, qui sait que j’ai vu ?
Es-ce que l’on peut réagir à ce que l’on ne sait pas qu’on a vu ?

Plus mystérieux encore, Siri Hustevedt suggère que l’on peut voir ce que l’on ne sait pas que l’on a vu ou dit autrement que l’on peut ne pas savoir ce qu’on a vu, et cet invisible peut porter une influence sur nos émotions, nos choix, nos comportements.

Peut-on voir ce que l’on ne sait pas qu’on voit ?
Quel est le je en moi qui a vu alors que je ne sais pas que j’ai vu ?
Peut-on réagir à ce que l’on a vu sans savoir qu’on l’a vu en étant
incapable de dire qu’on l’a vu ?
Quelle est la part d’inconscient à la vision ?
Nous avons plus de souvenirs en nous que nous ne croyons.

Qui en nous dit je ?

Qui est le rêveur dans le rêve, est-ce le je qui marche, parle et court dans la nuit, est-ce le même je de la lumière du jour, est-ce un autre je ? Ce qui n’est pas entouré d’incertitude ne peut être la vérité.